![]() Épilogue: Quand pourrions-nous retourner à la Lune?Droit d'auteur © 1995 par Eric M. Jones.
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Pour une grande partie du 20e
siècle,
l’humanité s’est habituée à l’idée de personnes voyageant à travers
l’espace et qui, éventuellement, vivant et travaillant sur des mondes
autre que la Terre. Pendant la première moitié du siècle, des pionniers
comme Konstantin Tsiolkovski, Robert Goddard, Wernher von Braun et
d'autres, ont pensé et écrit sur les voyages dans l’espace et ont
lentement travaillé quelques-unes des technologies de base qui
pourraient rendre le tout possible. Les écrivains de science-fiction
ont extrapolé encore plus loin dans l’avenir et, bien longtemps avant
que quiconque n'ait élaboré en détails la construction d’un vaisseau
spatial, les écrivains de fiction mis des villes imaginaires sur la
Lune et Mars et ont rempli les routes de l’espace avec des vaisseaux
habités et des navires cargos, activement impliqués dans le commerce
interplanétaire. Pour certaines personnes, l’acceptation de ces
étranges notions était hors de question, mais, au moment où Youri
Gagarine fait le premier vol spatial en 1961, une partie importante du
monde alphabétisé avait été exposée au moins, au rêve de l'espace comme
une frontière. Bien que le commerce interplanétaire devra attendre au 21e siècle, vers la fin des années ‘50, le rêve est devenu assez familier que, lorsque John Kennedy a proposé un atterrissage lunaire comme une prouesse technologique pour impressionner l’humanité, presque tous les participants - ceux qui feraient le travail, ceux qui paieraient pour cela, et ceux à qui Kennedy a cherché à impressionner – ont compris le symbolisme. Il y avait là, une démarche très audacieuse vers l'avenir. Malheureusement, Apollo était si audacieux que le rythme ne pouvait plus être soutenu. Vers la fin des années ‘60, la communauté spatiale avait grand espoir qu’Apollo conduirait directement à la construction d’une base permanente sur la Lune et, tôt ou tard, aux premiers voyages vers Mars. Von Braun et ses collaborateurs dessinaient de tels projets dans une série d’articles publiés dans le magazine ‘Collier’s’ au début des années ‘50, et, une fois que de grosses fusées étaient en construction et que les premiers atterrissages lunaires étaient à portée de la main, il y avait des moments comme s’il semblait presque que la base lunaire et Mars étaient atteignables. Mais ça n’a pas été le cas et, en effet, le recul démontre qu’en raison de facteurs économiques et politiques, il n’y avait aucune chance réelle de soutenir Apollo au-delà de quelques atterrissages. La principale raison pour laquelle Apollo a pris fin aussi rapidement était simplement parce qu’il était très coûteux. L’ère spatiale a commencé au cours d’une période d’intense rivalité entre les États-Unis et l’Union Soviétique et, durant les quatre années qui ont conduit à la décision d’Apollo, l’Amérique a été l'objet d’humiliations répétées. Le chef soviétique Nikita Khrouchtchev a misé sur la valeur politique des «premières» dramatiques de l’espace tellement élevées qu’en réponse au vol de Gagarine, le président Kennedy a dû trouver un moyen de parvenir, à une nette victoire finale et sans équivoque, dans ce qui était devenu la «Course de l’Espace». Ce qu’il fallait était un engagement «très dispendieux et très difficile à accomplir» que les Russes auraient peu de chance à suivre le rythme. Donc, Kennedy a engagé les États-Unis à faire un pas de géant en avant. Cependant, Apollo était si dispendieux et si difficile qu’il ne pouvait pas continuer très longtemps. Pour gagner la Course de l’Espace, la volonté politique de l’Amérique ne pouvait être traduite en un soutien politique et financier pour le maintien des opérations lunaires, sans parler des voyages vers Mars. À son apogée en 1965, le coût annuel d’Apollo était d’environ 0,8 pourcent du Produit Intérieur Brut des États-Unis et, comme l’histoire plus récente le montre, il y a un soutien politique pour un programme de seulement le quart de cette valeur. Le témoignage des années depuis qu’Apollo a pris fin est que les États-Unis et plusieurs autres pays se sont engagés envers l’espace, en partie comme un investissement dans le développement de nouvelles technologies, en partie dans l’intérêt d’attirer les jeunes talents à l’ingénierie et les sciences, en partie à l'intérêt de participer à long terme à des gains économiques que l'espace est prévu de produire, et aussi, dans une large proportion, parce qu’il y a peu de choses maintenant à la portée de l’homme qui sont si fascinantes. Aux États-Unis, le soutien politique pour le développement de l’espace se traduit actuellement par un financement d’environ 0,25 pour cent du Produit Intérieur Brut. Au début des années ‘90, le budget de la NASA était d’environ 15 milliards de dollars: de quoi soutenir le maintien d’une Flotte de Navette de quatre véhicules, le développement d’une Station Spatiale, et mener une variété de programmes scientifiques et techniques, mais pas assez pour y inclure un programme lunaire. Évidemment, ce ne sont que les circonstances politiques extraordinaires des années ‘60 qui ont rendu possible Apollo. Pour une courte période, tout l’argent nécessaire que la NASA avait besoin pour atteindre la promesse du premier atterrissage fut disponible. Cependant, une fois que les pièces majeures des travaux d’ingénierie d’Apollo ont été terminées, le financement a commencé à diminuer. Les États-Unis étaient prêts à dépenser ce qu’il fallait pour battre les Russes, mais, une fois que la conquête de l’espace fut gagnée de manière décisive, les dirigeants politiques du pays ont décidé que le coût d’un programme lunaire permanent était plus que ce que le pays pouvait se permettre. Le budget spatial a diminué à un point tel que la NASA a dû annuler trois missions Apollo dont les véhicules de vol avaient déjà été construits. Bien sûr, au fil du temps, l’expansion économique fait que des projets comme une base lunaire est plus abordable et, tôt ou tard, nous serons en mesure d’entreprendre un programme lunaire sans avoir à dépenser une fraction de la richesse de la nation comme sur Apollo. Au cours du dernier siècle et plus encore, le PIB américain a doublé en termes réels d’environ une fois tous les vingt-cinq ans et il y a tout lieu de croire que cette croissance se poursuivra pendant une longue période à venir. L’expansion économique provient en grande partie du résultat de gains de productivité et, certainement, les limites de notre utilisation créative de nouvelles machines, de nouveaux procédés et de nouvelles ressources ne sont pas en vue. Comme la richesse de la nation se développe et, par conséquent, que les autres nations acquièrent des capacités de vols habités, les quantités totales des activités spatiales croîtront - mais avec des hauts et des bas superposés sur une tendance générale – à un point tel que la construction d’une base lunaire permanente deviendra réalisable. Si, par exemple, nous supposons des investissements continus à environ 0,25% de la croissance du PIB et nous supposons également que nous pourrions mener un programme spatial qui comprendrait à la fois une station spatiale et une base lunaire pour environ 30 milliards de dollars en valeur de 1990, alors nous pourrions voir une reprise des opérations lunaires - précédée d’une décennie ou plus de travaux préparatoires – environ vers 2015. Bien sûr, si l’attribution du budget de la NASA était à croître plus rapidement que l’économie dans son ensemble, nous pourrions construire une base lunaire plus tôt que 2015. Durant les années ‘70, il était parfois difficile de croire que le programme spatial n’avait pas subi un revers fatal, qu’une certaine «fenêtre d’opportunité» mal définie n’avait pas fermé. Au milieu des années ‘70, le budget de la NASA avait cessé de reculer et, mesuré en termes de dollars constants, a même progressé à un rythme modeste, mais, après les années glorieuses d’Apollo, les augmentations semblaient bien trop faibles pour amener la Station Spatiale, la Base Lunaire, et les missions vers Mars bien proches de la réalité. Ces faibles augmentations ont été trop facilement dépassées par la hausse des coûts de faire des affaires. Toutefois, pour un certain nombre d’années après l’accident de Challenger en 1986, il y avait un changement remarquable dans l’engagement de la nation. L’accident - et la réaction du public – a convaincu Washington que le pays voulait dépenser plus afin d’avoir un programme spatial respectable et productif, et pour un certain nombre d’années après l’accident, la NASA a reçu de considérables augmentations au budget annuel. Plus récemment, les demandes de programmes sociaux sont entrées en conflit direct avec le programme spatial et, au moment où j’écris ces mots en avril 1994, il y a un vif débat qui fait rage à Washington sur ce qu’est devenu la Station Spatiale Internationale. Le programme spatial et ses supporters ont été émotionnellement et financièrement sur des montagnes russes pratiquement depuis le début. Le débat sur le financement est certain de continuer jusqu’à ce que la plupart de nos activités dans l’espace se supportent d’elle-même et que le financement public n’est plus nécessaire. La question au centre du débat est, bien sûr, la valeur relative du programme spatial et, comme nous l’avons discuté, la perception de l’espace tel une motivation technologique - jumelée au fait que beaucoup de gens veulent encore se frotter les coudes avec des astronautes et que beaucoup de jeunes veulent encore grandir pour en être un - génère des fonds à un niveau d’environ un quart de un pour cent du PIB. Si les règles du jeu venaient à changer, bien sûr, des augmentations aux niveaux du financement pourraient bien être dans les cartes. Si, par exemple, les gens ont commencé à penser qu’il y avait une réelle possibilité d’une substantielle rentabilité économique à court terme, donc un nouveau financement pourrait bien devenir disponible. La communauté spatiale parle avec optimisme d’exploitation minière d’astéroïdes, des satellites à énergie solaire, et de l’exploitation minière de l’Hélium-3 sur la Lune, mais malheureusement, ils ont été incapable de convaincre qui que ce soit, sauf les fidèles, envers les risques minimes technologiques - et le potentiel des retombées assez élevé et rapide - pour justifier les dépenses de grosses sommes d’argent publiques ou privées. Par ailleurs, le développement de systèmes de transport beaucoup moins dispendieux rendrait possible de faire plus au niveau actuel de financement et, en même temps, rendrait plus attrayant un large éventail d’activités spatiales. Cependant, l’innovation technique n’est qu’une partie de la réponse à un transport à bon marché. De même grande importance est la capacité de construire de nombreuses copies d’un nouveau véhicule et de les faire voler régulièrement et efficacement. C’est-à-dire, des économies d’importances sont essentielles et, pour les atteindre, nous allons probablement avoir recours à des augmentations d’activités spatiales afin de produire des hausses de demandes et, par conséquent, réduire les coûts unitaires. Et, enfin, nous pourrions accélérer notre retour à la Lune si nous devenions un peu moins cyniques, un peu plus conscients des vieilles maximes en se préparant pour demain, et, dans ce processus, la gestion de redécouvrir notre ancienne fascination avec cette frontière. Nous verrons bien. Quoi qu’il advienne au cours des prochaines décennies, les obstacles sur notre chemin sont presque tous financières et politiques. Compte tenu de l’argent et du mandat, ça ne devrait pas - mais pourrait - prendre plus d’une décennie pour reprendre là où nous avons laissé Apollo. Le simple fait que six équipages d’Apollo ont atterri sur la Lune et ramenées un trésor d’échantillons, des données et des expériences signifient que les concepteurs de la base lunaire devront faire face à beaucoup moins d’incertitudes que l’équipe d’Apollo. Cependant, trente ans et plus - à partir de la fin d’Apollo en 1972 et à un redémarrage, disons, en 2002 – c’est bien long, même si nous voulions réutiliser la technologie Apollo de l’époque, il en reste très peu sur l’étagère. Nous aurons besoin de redessiner une grande partie du matériel de vol et d’équipement de surface - en partie pour profiter des progrès technologiques des années ‘70, ‘80 et ‘90, et en partie pour se préparer à un mode très différent des opérations lunaires. Apollo a été conçu pour respecter une échéance de défi pour l’atterrissage d’un premier équipage sur la Lune. Les capacités de chargement ont été très limitées et aucun des équipages n’est resté plus de trois jours. Pour l’ère de base lunaire, les véhicules devront être conçus de manière à ce qu’il puisse y avoir des livraisons régulières de fournitures et de matériel, et en quantité suffisante afin que les équipages puissent rester sur la Lune pendant plusieurs mois et apprendre comment utiliser les ressources locales. Les opérations de la base lunaire seront beaucoup plus complexes que celles qui ont été entreprises lors d’Apollo, mais, si l’histoire peut servir de guide, en s’appuyant sur l’expérience d’Apollo et en tirant partie des progrès technologiques considérables des années antérieures, se préparer ne devrait pas être aussi difficile ou plus coûteux qu’Apollo l’a été. À titre d’exemple, on peut noter que, entre 1937 et 1945, von Braun et ses collègues ont dépensé environ 2 milliards en dollars de guerre US pour la conception et les essais de la fusée V-2 pour l’armée allemande. Bien que la V-2 n’a pas été beaucoup plus efficace que la conception russe de missiles Scud tirés par l’Irak durant la guerre du Gulf Persique en 1991, le coût du développement de la V-2 a été étonnamment proche - avec l’inflation du dollar - au coût du développement de la Saturn V d’Apollo. En plus de la dépense intrinsèque de l’élaboration de toute nouvelle technologie, une cause très importante du coût élevé du développement de la V-2 a été le simple fait que, à l’époque, il n’y avait aucun moyen pratique de faire plus que quelques mesures de base sur chaque vol d’essai. Quand quelque chose n’allait pas – comme cela se produisait inévitablement dans ces années avant que les ingénieurs puissent utiliser des ordinateurs et des équipements test sophistiqués au sol pour vérifier à l’avance les sous-systèmes - une série de vols d’essai a dû être menée pour cerner la source du problème et de vérifier un correctif. En tout, l’équipe de von Braun a mené plusieurs centaines de lancements d’essai, la plupart d’entre eux des échecs retentissants. Vingt-cinq ans plus tard, lorsque l’équipe de von Braun dessinait la Saturn V, les procédures de conception technique et l’art de la télémétrie ont avancé au point tel que seuls les quinze vols d’essai (dix Saturn I, trois Saturn IB, et seulement deux Saturn V) ont dû être réalisés avant que le véhicule pourrait être certifié comme suffisamment sécuritaire pour transporter un équipage humain. De manière significative, malgré l’énorme complexité démesurée à la V-2, tous les vols d’essai ont réussi, et aussi, le coût de développement en dollars constants n’a été qu’à cinquante pour cent plus élevé que ce que l’Allemagne avait dépensé sur la V-2. Le temps amène de nouvelles technologies et de nouvelles idées et rend les tâches difficiles d’ingénierie beaucoup plus faciles, comme en atteste la Navette Spatiale américaine lancée en 1981 transportant un équipage. Il n’y avait pas de vols d’essai sans pilote. Retourner à la Lune devrait être plus facile que d’y aller une première fois - en supposant que nous n’étouffons pas le programme spatial par la bureaucratie. Comme je l’ai dit au début de cet épilogue, une grande partie de l’humanité du 20e siècle a été habituée à l’idée des gens voyageant et travaillant et, éventuellement, s’installant dans l’espace. Pour plus d’un cinquième de ce siècle, nous avons lentement passé au crible les choses que nous avons apprises à partir d’Apollo et, à long terme, il se peut que nous ayons besoin de temps pour réfléchir à tout cela. En raison des circonstances extraordinaires de la guerre froide, Apollo a été entrepris sur un calendrier limité et, comme Arthur C. Clarke a suggéré dans un essai publié au cours de la semaine de la mission Apollo 11, nous avions fait tellement un grand bond dans l'espace au cours des années '60 que nous avions besoin d'un temps de «consolidation», une période au cours de laquelle nous devions assimiler les nouvelles technologies et les nouvelles perspectives. Nous avions besoin de comprendre ce que nous venions de faire et ce que nous avions appris. Que le programme spatial eu été développé dans le sens que von Braun l’a décrit au début des années ‘50, au moment où nous étions prêts à aller sur la Lune, le programme aurait pu atteindre un stade de maturité comparable disons, au rang de l’aviation dans les années post-Lindbergh/Earhart. Comme durant les premiers stades de l’Âge de l’Aéronautique, l’Ère Spatiale était liée d’avoir eu une période de fascination du public pour «les premières». Mais une fois cette phase passée et que le programme spatial s’était installé à un programme plus ou moins ordonné en développement, il aurait été possible, alors, de penser à un programme lunaire comme la prochaine étape naturelle - un programme lunaire complet avec les plans d’une station de recherche permanente du type de l’Antarctique et, le plus important, avec des attentes modestes et un engagement à long terme. Au lieu de cela, le premier atterrissage lunaire est survenu seulement huit ans après Gagarine et, parce que tout avait été si dispendieux, peu ont vu le point de continuer. La plupart des gens pensait à court terme – sur les premières et sur les courses et sur les roches les plus anciennes - et non sur la valeur à long terme de la Lune. Les opérations lunaires étaient trop coûteuses pour continuer, alors pourquoi penser à long terme? Éventuellement, nous allons retourner à la Lune pour y construire une base permanente et commencer la tâche cruciale d’apprendre à «vivre au-delà de la terre» et, plus tard, de développer des produits et des industries qui feront des opérations lunaires autosuffisantes. Et, si Apollo était peut-être un pas pris hors séquence, le point important est que nous avons eu six alunissages avec succès et avons accumulé une surabondance d’échantillons, de données et d’expériences. À cause d’Apollo, nous savons en grande partie de quoi la Lune est faite et avons développé quelques idées sur la façon d’utiliser les matériaux lunaires - d’abord comme un moyen de rendre les opérations de base lunaire plus efficaces et moins coûteuses et, ensuite, comme matières premières pour la construction et l’exploitation des industries de l’espace. Et nous connaissons, aussi, quelques-unes des astuces et des embûches qui impliquent le travail à effectuer sur la Lune. Nous avons beaucoup à apprendre et beaucoup à faire. Mais nous avons été sur la Lune et pouvons mettre cette expérience à profit pendant que nous nous préparons, tôt ou tard, à y retourner. Note ajoutée le 7 Septembre 2006: depuis 1994, le budget de la NASA a suivi le rythme de l’inflation, mais pas avec la croissance du Produit Intérieur Brut des États-Unis. Durant l’exercice 2005, la NASA a reçu 0,13 pour cent du PIB. Les lecteurs intéressés par le développement des ressources lunaires devraient consulter les notes de cours préparées par une équipe de l’Université du Wisconsin, qui comprend l’astronaute d’Apollo 17, Jack Schmitt. |
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